Quelle place aux symboles religieux dans l’espace public ?

Le dossier sur la place des symboles religieux dans l’espace public ouvre le débat de la dernière édition de Kultura Liberalna. Martha Nussbaum, philosophe américaine et Alain Finkielkraut, philosophe français et auteur de “L’identité malheureuse” confrontent leurs opinions dans un dossier de la semaine très polémique intitulé “Les femmes croyantes comme une menace de la démocratie ?
Le Centre de civilisation française et d’études francophones est partenaire du dossier de la semaine, aux côtés de Institute for Human Sciences (IWM) et d’Eurozine.
EDITO DE Jarosław Kuisz,
redaCTEUR EN CHEF DE KULTURALIBERALNA.PL
Mesdames,
Messieurs,
églises désertées, mariages civils, actes d’apostasie en masse – il y a quelques années encore prédominait la conviction que la sécularisation de l’Occident était inévitable. Aujourd’hui, personne n’oserait plus avancer une telle thèse sans de sérieuses réserves. On entend partout parler du retour du religieux. Les tensions liées à ce qu’on appelle “l’affaire du professeur Chazan” ou la querelle au sujet du spectacle “Golgota Picnic” s`inscrivent donc dans une perspective plus vaste. En Europe de l’Est et de l’Ouest, les craintes prennent cependant une allure différente.
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Le liberalisme a besoin d’amour
MARTHA NUSSBAUM dans un entretien avec JAROSŁAW KUISz
La philosophe et femme politique américaine explique pourquoi, selon elle, l’interdiction du port de la burqa constitue un signe d’islamophobie, comment pouvons-nous aborder la question de la violence à l’égard des femmes et pourquoi elle croit que l’homme a une tendance inhérente au mal.
Jarosław Kuisz : Vos livres sont une mise en garde intellectuelle pour les sociétés occidentales. Pourtant, des intellectuels, même connus, semblent comprendre votre message de façon erronée. Permettez-moi de vous en donner juste un exemple. Interrogé sur votre opinion selon laquelle la France succombe à l’islamophobie, Alain Finkielkraut a considéré que vous ignoriez le problème de la violence faite aux femmes et que vous faisiez « comme si la question de l’islam en Europe était un nouveau chapitre de la xénophobie européenne ». Selon lui, « il faut avoir de la mémoire, mais rabattre systématiquement la situation actuelle sur les années 1930, c’est de l’idéologie ». Comment commenteriez-vous cette constatation d’Alain Finkielkraut?
Martha Nussbaum : À vrai dire, il ne répond pas aux arguments présentés dans mon livre, c’est pourquoi il m’est difficile de donner une réponse à cette question. J’y ai avancé cinq arguments utilisés pour justifier l’interdiction du port de la burqa, puis j’ai dit comment, à les suivre jusqu’au bout, cela pourrait amener à la mise en place de l’interdiction de bien des pratiques présentes dans la culture majoritaire. J’aimerais entendre sa réponse précisément à ces arguments. Compte tenu du fait que mon activité professionnelle se concentre, dans une grande mesure, sur la stigmatisation de tels phénomènes, l’affirmation que je sous-estime la violence à l’égard des femmes est absurde. Plusieurs fois, j’ai déclaré publiquement que tout recours à la violence physique ou à la menace d’y recourir en vue d’obliger les femmes ou les filles à porter des vêtements religieux devrait être illégal et, de fait, est déjà illégal et que la législation condamnant la violence domestique et les abus commis contre les enfants devrait être encore renforcée, plus qu’elle ne l’est actuellement.
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“Mais on s ‘en fous de la sécurité…”
Alain Finkielkraut dans un entretien avec Jarosław Kuisz
Le philosophe français débat avec les opinions de Martha Nussbaum, critiques à l’égard de la politique française d’immigration. Selon Alain Finkielkraut, en se voilant, la femme se prive de visage.
Jarosław Kuisz : En commentant le livre de Martha Nussbaum, „The New Religious Intolerance” (« La nouvelle intolérance religieuse »), vous avez reproché à l’auteure de faire peu de cas du problème de la violence à l’égard des femmes en interprétant d’une manière inadéquate les pratiques culturelles des musulmans en France. À votre avis, derrière l’accusation d’islamophobie de la France se cache l’incapacité de s’opposer à la discrimination des musulmanes ?
Alain Finkielkraut : Les tentatives, actuellement à la mode, pour mettre à égalité la violence pratiquée à l’égard des femmes dans la civilisation occidentale et l’assujettissement des femmes dans le monde musulman, sanctionné par la religion et la coutume culturelle, sont une évidente preuve d’ignorance et un mensonge éhonté.
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Martha Nussbaum, philopsophe américaine, professeur à University of Chicago.
Martha Nussbaum ou la démocratie, dossier publié sur le site Laviedesidees.fr
Alain Finkielkraut, philosophe français, membre de l’Académie française. Il a publié en 2013 “L’identité maleheureuse”