MARDI 21 mars 2023
Lieu : Faculté de sociologie de l’Université de Varsovie, salle 104, 18 rue Karowa
Transmission : YouTube
Langue : français, polonais (traduction simultanée)
L’événement est organisé en coopération avec la Faculté de sociologie de l’Université de Varsovie.
SOCIOLOGIE : Les catégories sociales au temps de la globalisation
9.30-9.45 Accueil des invités
9.45-10.00 Ouverture : Anna Giza-Poleszczuk (doyenne de la Faculté de sociologie de l’Université de Varsovie) et Laurent Tatarenko (directeur du CCFEF)
10.00-12.30 Table ronde
Président de séance : Jakub Motrenko (Faculté de sociologie de l’Université de Varsovie)
14.00-15.30 Conférence-débat : Descriptions locales, phénomènes globaux, théories universelles
Modérateur : Jarosław Kilias (Faculté de sociologie de l’Université de Varsovie)
Discutants : Monika Kostera, Christian Papinot, Mikołaj Pawlak, Przemysław Sadura, Alexis Spire, Tomasz Zarycki
15.30-16.00 Conclusion: Jarosław Kilias (Faculté de sociologie de l’Université de Varsovie)
Descriptif
La dynamique de changement, qui se manifeste en permanence dans la vie des sociétés modernes, fait rapidement disparaître les définitions et les concepts antérieurs. Les processus liés à la mondialisation, les flux migratoires et les développements technologiques et autres influencent l’organisation de la vie sociale. Les catégories sociologiques telles que le travail, la classe et l’institution évoluent et sont redéfinies continuellement.
Au cours de la journée, nous soulèverons les questions suivantes : quel est le rôle du capital culturel dans la formation des inégalités de richesse ? Le travail peut-il être considéré comme l’une des dimensions structurant les nouvelles frontières de classe ? À quoi les jeunes sont-ils confrontés au début de leur parcours professionnel ? Comment les périodes de transition prolongées au début de la vie professionnelle affectent-elles leur vie ? Comment les développements technologiques guident-ils nos choix et les algorithmes sont-ils capables de déterminer nos forces et nos faiblesses ? Peut-on parler d’une mondialisation des catégories de la réussite et de l’échec ? Dans quelle mesure la catégorisation des événements et des processus est-elle mondialisée et dépend-elle du contexte ? Quelle a été l’évolution des sciences sociales polonaises depuis les années 1960, sous l’effet des processus à la fois nationaux et internationaux ?
Avec nos invités, nous souhaitons réfléchir aux conséquences de l’intensification des échanges d’idées à l’échelle internationale dans la sociologie contemporaine. Il en résulte un transfert facile de nouvelles théories à la mode dans de nouveaux contextes, parfois peu évidents. Dans quelle mesure la mondialisation de la théorie sociologique est-elle une opportunité ou un risque pour l’étude des phénomènes sociaux, locaux ou régionaux ? Nous nous demanderons également si les inégalités sociales peuvent être décrites en termes universels. Dans quelle mesure la perspective relationnelle à la mode permet-elle de saisir la spécificité de leurs conditions locales ? Nous aimerions également aborder la situation des sciences sociales dans le monde d’aujourd’hui. Les politiciens et les administrateurs du monde académique ont pris en affection un média à la teneur informative restreinte – l’article scientifique. Quelles sont les opportunités et les dangers de ce choix ? Quelle est la place de l’imaginaire sociologique dans le débat public dominé jusqu’à récemment par la narration néolibérale des réussites (et des échecs) individuelles ?
RÉSUMÉS
Alexis Spire : Inégalités sociales et différences nationales en Europe
Ces trente dernières années, les contours de l’Europe n’ont cessé de s’élargir, contribuant à rendre plus visible l’accroissement des inégalités de revenus et de patrimoines. Au sein d’un continent marqué par l’effritement des protections sociales et le recul des services publics, les structures sociales évoluent sous l’emprise de la globalisation, notamment depuis la crise financière de 2008. À ces transformations économiques et politiques s’ajoutent la massification scolaire et la diffusion de biens culturels de masse qui accentuent la porosité des groupes sociaux. Toutes ces évolutions incitent à se demander ce qui rapproche et ce qui distingue les travailleurs européens. À partir des résultats de grandes enquêtes statistiques (Labour Force Survey, Statistics and Income on Living Condition, European Working Condition Survey, Adult Education Survey), cette intervention propose de rendre visibles les rapports de domination entre groupes sociaux grâce à une analyse en termes de classes sociales qui permette de dépasser les particularités nationales.
En s’inspirant du cadre théorique et méthodologique proposé par Pierre Bourdieu, cette contribution s’interroge sur les inégalités qui relèvent de l’appartenance nationale et celles qui relèvent des différences entre les classes sociales. Avec le développement du capitalisme financier et l’accroissement des inégalités de patrimoine, le rôle du capital culturel qui était au cœur des analyses de Pierre Bourdieu mérite d’être réévalué et actualisé. En revanche, le travail peut être considéré comme l’une des dimensions structurantes des nouvelles frontières de classes. A partir d’un modèle permettant d’analyser les inégalités sociales en Europe, cette intervention s’inscrit dans une série de recherches empiriques conduites avec Cédric Hugrée et Étienne Penissat, dans la perspective d’améliorer notre connaissance d’un espace social européen en cours de constitution.
Christian Papinot : Quelles conditions d’accès à l’emploi des jeunes en France ? Quelles places au travail ?
Parce qu’il s’écoule désormais sept ans entre l’âge médian de fin d’études et celui de la stabilisation dans l’emploi, l’analyse de ces sas de transition prolongés au début de la vie active est essentielle pour appréhender la question de l’insertion professionnelle des jeunes aujourd’hui en France. À partir de l’exemple de l’intérim comme forme emblématique d’« emploi de jeune », cet article analyse la signification de la condition intérimaire en termes de socialisation salariale, de modalités d’intégration professionnelle mais aussi de places au travail. Il questionne la façon dont ces formes de participation en pointillé au marché du travail (forte discontinuité de l’activité professionnelle effective) et les modalités d’entrée dans les collectifs de travail que cela engendre peuvent produire des malentendus intergénérationnels au travail.
Mikołaj Pawlak : Institutions et échec. Peut-on parler d’une globalisation des catégories de succès et d’échec ?
Critiquant la théorie sociologique, Maslap et Wickham (1995, p. 39) ont déclaré que « l’échec est considéré davantage comme une exception que comme une règle et comme quelque chose qui doit être finalement surmonté grâce au développement du savoir ou de la technologie », alors que, dans une publication récente, Wang et Barabási (2021, p. 244) ont conclu que « nous sommes à peu près parvenus à comprendre la réussite, mais nous avons échoué dans la compréhension des échecs ». Récemment, l’intérêt pour les échecs s’est accru. Ils sont de mieux en mieux connus et traités comme une expérience commune. Cela se manifeste par des phénomènes culturels : par exemple, des f**kup nights (Ingardi, Meyer & Verdin, 2021) sont organisées dans le monde entier et des influenceurs y enseignent comment transformer les échecs en réussites. Parallèlement, dans le monde académique, des recherches jusque-là éparses sur les différents types d’échecs ont récemment été rassemblées sous le vocable des études sur les échecs (Mica et al., 2023). L’objectif de cet exposé est de répondre à la question suivante : dans quelle mesure la catégorisation des événements et des processus comme succès ou comme échecs est-elle mondialisée, et dans quelle mesure dépend-elle des contextes locaux ? Le cadre de l’analyse provient de la théorie institutionnelle qui permet de construire une typologie des échecs : défaite, déviance ou exclusion. Grâce à a notion de « régimes de l’échec », c’est-à-dire des dispositions institutionnelles qui identifient ce qu’est l’échec et comme le traiter (Kurunmäki, Mennicken & Miller, 2023), nous discuterons de manière critique les définitions de l’échec proposées par les travaux sur le sujet. Nous présenterons ensuite trois niveaux analytiques pour étudier l’échec : les échecs des acteurs et de leurs actions ; les échecs des institutions ; et les régimes d’échec. En conclusion, il s’agira d’examiner la proposition de traiter l’échec comme une construction sociale, un processus plutôt qu’un événement, directement lié aux contextes et des régimes locaux.
Przemysław Sadura : La société des populistes. Le cas de la Pologne
L’objectif de cette présentation sera d’analyser les raisons de la popularité du populisme autoritaire en Europe centrale et orientale et de présenter un programme pour le combattre. L’auteur se concentrera sur la Pologne, c’est-à-dire sur la victoire et le gouvernement du parti Droit et Justice. Cependant, Droit et Justice est souvent décrit comme un populisme de droite, nationaliste ou autoritaire et, en tant que tel, il fait partie d’un phénomène plus global (Trump, Johsnson, Orban, Kaczynski, Erdogan). Après avoir analysé les différentes causes de la popularité du populisme décrites dans les études sur le sujet, l’auteur présentera un concept interprétant le populisme sur le modèle des nouveaux « partis attrape-tout » (catch-all). Jusqu’à présent, de tels partis ont tenté de mener une politique interclassiste et destinée aux différents groupes. Ils recherchaient le plus grand dénominateur commun et tentaient d’attirer les électeurs vers le centre. La stratégie des partis populistes attrape-tout consiste à unir les différents foyers de mécontentement en recherchant la plus petite différence commune et la polarisation afin de mobiliser les leurs et d’assécher le centre.
Tomasz Zarycki : Les sciences sociales polonaises des années 1960 au début du XXIe siècle : les conséquences implicites de l’évolution des rapports à l’échelle mondiale
Nous présenterons un aperçu synthétique de la transformation vécue par les sciences sociales polonaises depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui. Il s’agira en particulier de leur abandon du marxisme, au sens large, comme principal cadre de référence. Ce processus s’est déroulé tout au long des années 1970 et a abouti à son remplacement avant tout par une nouvelle psychologie sociale – l’étude de la stratification sociale détachée du cadre des classes et un culturalisme compris au sens large. J’appelle la renaissance de ce dernier, qui a commencé au début de la « décennie de Gierek » et se poursuit encore aujourd’hui, la re-traditionalisation. Par cette dernière, j’entends avant tout la redécouverte des traditions religieuses, patriotiques et des autres traditions culturelles. Cette dernière orientation semble dominer aujourd’hui dans les sciences sociales polonaises, où se confrontent le culturalisme conservateur et le conservatisme libéral qui vise les valeurs cosmopolites et des cultures des minorités.
NOTES BIO
Monika Kostera est professeure titulaire d’économie et de sciences humaines. Elle a travaillé dans de nombreuses universités polonaises, britanniques et suédoises en tant que professeure de sciences de gestion. Ses recherches portent sur l’organisation et l’imagination organisationnelle.
Alexis Spire est directeur de recherche au CNRS et auteur de plusieurs livres sur les politiques d’immigration – Étrangers à la carte (Grasset 2005), Accueillir ou reconduire (Raisons d’agir, 2008) – sur les inégalités fiscales – Faibles et puissants face à l’impôt (Raisons d’agir, 2012), Résistances à l’impôt, attachement à l’État (Seuil, 2018). Il travaille depuis plusieurs années sur des projets collectifs visant à renouveler l’analyse des classes sociales à l’échelle européenne (Hugrée, Penissat & Spire, Social Class in Europe, Verso, 2020 ; Hugrée, Penissat, Spire & Hjellbrekke, Class Boundaries in Europe. The Bourdieusian Approach in Perspective, Routledge, 2022).
Christian Papinot est sociologue du travail, professeur de sociologie, directeur du laboratoire Gresco, site de l’Université de Poitiers. Ses recherches portent principalement, depuis une vingtaine d’années, sur les processus de fragilisation de la relation d’emploi dans le contexte contemporain d’effritement de la société salariale, et plus particulièrement sur les premiers emplois des jeunes. Plus récemment, ses travaux se sont enrichis de perspectives de comparaisons internationales à partir de collaborations avec des collègues québécois qui ont donné naissance entre autres à la direction d’un ouvrage collectif de synthèse, Les jeunesses au travail. Regards croisés France-Québec, publié en 2010 aux Presses de l’Université Laval (Québec).
Mikołaj Pawlak est docteur en sociologie, professeur à l’Université de Varsovie, il dirige la section de la sociologie des normes, de la déviance et du contrôle social à l’Institut de prévention sociale et de resocialisation de l’UW, où il est également directeur adjoint pour la recherche. Il est également vice-président de l’Association polonaise de sociologie. Ses recherche s’intéressent à la théorie du nouvel institutionnalisme, aux études sur les migrations, à la sociologie de la connaissance/ignorance et aux études sur l’échec. Il a codirigé en 2023 le volume du Routledge International Handbook of Failure, instaurant les études sur l’échec comme un nouveau domaine de recherche. Dans ses publications antérieures, il a abordé l’ignorance, le vide sociologique et la réaction de la société polonaise face aux migrations.
Przemysław Sadura est chef de la section de la sociologie politique au Département de sociologie de l’Université de Varsovie. Administrateur de l’Institut d’études avancées de Krytyka Polityczna. Il s’intéresse à la sociologie publique et aux rapports entre l’État et la société.
Tomasz Zarycki est sociologue et géographe, professeur à l’Université de Varsovie et directeur adjoint de l’Institut d’études sociales Robert Zajonc de cette université. Ses principaux domaines d’intérêt sont la sociologie de la science, de la politique et de la culture et la sociologie historique des élites. Il a publié, entre autres, Cultural Capital. Inteligentsia en Pologne et en Russie (2008), Peripheries. A New Approach to Centre-Periphery Relationships (2009), Ideologies of Eastness in Central and Eastern Europe (Routledge, 2014), The Periphery Game : Polish Political Science in the Global Field of Social Sciences (avec T.Warczok, 2016), Totem inteligencki : Aristocracy, Nobility and Landedness in the Polish Social Space (avec R.Smoczynski, 2017) et The Polish Elite and Language Sciences A Perspective of Global Historical Sociology (Palgrave, 2022).