LUNDI 20 mars 2023
Lieu : Salle des Colonnes, Faculté d’histoire de l’Université de Varsovie, 26/28 rue Krakowskie Przedmieście
Transmission : YouTube
Langue : français, polonais (traduction simultanée)
L’événement est organisé en coopération avec la Faculté d’histoire de l’Université de Varsovie.
9.00-10.00 Ouverture officielle de la Semaine française des sciences sociales à l’Université de Varsovie
10.00-10.15 Accueil des invités : Łukasz Niesiołowski–Spano’ (doyen de la Faculté d’histoire de l’Université de Varsovie), Laurent Tatarenko (directeur du CCFEF)
HISTOIRE : Les échelles de l’historien : méthodes et défis d’une histoire mondiale
10.15-12.30 Table ronde
Président de séance : Laurent Tatarenko (CCFEF)
14.00-16.00 Conférence-débat
Modérateur : Tomasz Wiślicz (Institut d’histoire de l’Académie polonaise des sciences)
Discutants : Błażej Brzostek, Igor Chabrowski (online), Sylvie Denoix, Hervé Inglebert, Dobrochna Kałwa, Stéphane Van Damme, Marek Węcowski
16.30-17.30 : Concert (Salle Baszkiewicz, Collegium Politicum) Programme FR
Descriptif
La question des échelles se trouve au cœur de la pratique de l’historien puisqu’elle guide le rapport de celui-ci à son objet. Toutefois au-delà d’être un outil pour la définition du sujet, cette notion implique une démarche heuristique qui, dans les dernières décennies du XXe siècle, a donné naissance aux nouveaux courants et notamment ceux d’histoire globale et d’histoire connectée, centrés sur une approche multiscalaire des circulations et des interactions. Ces chantiers particulièrement développés dans l’historiographie anglo-saxonne ont également trouvé une expression dans les travaux de chercheurs français, à travers les concepts de transferts culturels, d’histoire croisée ou encore d’histoire transnationale. Dans le même temps, malgré la variété des méthodes et des perspectives offertes par ces études, force est de constater qu’elles ont largement privilégié les périodes moderne et contemporaine et ont souvent mis l’accent sur les espaces extra-européens marqués par les cultures impériales. Plus que de revenir sur les débats autour des définitions, qui ont déjà produit une bibliographie abondante, la journée de la Semaine française des sciences sociales consacrée à l’histoire entend ainsi aborder la problématique des échelles à travers trois interrogations concomitantes : celle de l’applicabilité de ces paradigmes historiographiques aux périodes antiques et médiévales, celle de l’empreinte laissée par la recherche française dans les réflexions menées sur le jeu d’échelle et, enfin, celle de la place de l’Europe centrale et orientale, comme objet d’étude mais aussi comme terrain d’application de champs particuliers dans une historiographie qui ignore ou évite souvent ces régions.
RÉSUMÉS
Błażej Brzostek : Wars, Lech et Polan. Une histoire globale des montres locales : l’usine de Błonie, 1953-1970
La première, et jusqu’à présent la dernière, fabrique de montres mécaniques dans l’histoire de la Pologne a été lancée dans les années 1950 à Błonie – une petite localité des environs de Varsovie. Cela reflétait le processus de modernisation de l’économie polonaise, mais aussi les signes de son développement dépendant : les mécanismes et le savoir-faire étaient importés depuis l’Union soviétique, qui avait déjà construit son industrie horlogère en s’appuyant sur les technologies américaines, suisses et françaises. Dans le même temps, les montres de Błonie recevaient des noms patriotiques et le groupe des ingénieurs tentait de rendre sa société indépendante par rapport aux importations. On prépara des projets d’expansion sur les marchés des États socialistes, mais aussi sur ceux du Tiers monde. Toutefois, la production s’arrêta aussi brusquement qu’elle avait commencé : une décision de Varsovie, justifiée par les changements politiques et économiques globaux.
Sylvie Denoix : Les médiévistes aussi se posent des questions de méthode ! Une histoire “globale” française du Proche-Orient médiéval
L’histoire mondiale s’écrit grâce aux recherches conjuguées de spécialistes de différentes aires. Mais, parfois, certaines contrées ont été étudiées à travers un filtre déformant et l’histoire du Proche-Orient n’a pas échappé à ces biais. En effet, les approches orientalistes ont pu essentialiser le monde musulman ou bien le regard occidental surplombant a proposé des études à partir de ses propres référents.
Depuis quelques décennies les historiennes et les historiens spécialistes de ces aires ont considérablement renouvelé le champ de ces études. Dans cette communication, on présentera de manière critique diverses approches : comparatisme, jeu d’échelles et histoire connectée, ou comment se renouvelle la fabrique de l’histoire du Proche-Orient médiéval.
Hervé Inglebert : Histoire mondiale et Antiquité tardive : problèmes méthodologiques et épistémologiques
Le développement de la World History après 1945 puis de la Global History après 1970 a amené depuis le début du XXIe siècle certains historiens de l’Antiquité à vouloir utiliser ces nouvelles perspectives pour comprendre autrement leur période. Ceci soulève néanmoins deux problèmes majeurs. Le premier est méthodologique : les sources disponibles pour l’Antiquité ne permettent guère de fonder la démarche quantitative nécessaire à la réalisation d’un projet d’histoire mondiale ou globale. Le second est épistémologique : ces modèles, principalement économiques, ont été élaborés pour comprendre les périodes moderne et contemporaine et supposent que les relations interrégionales aient dépassé le stade des contacts ou des connexions pour créer une intégration structurelle englobante, ce qui ne semble pas avoir été le cas, et encore dans le cadre d’une protoglobalisation, avant 1500 ou plus probablement 1750. Les appliquer à l’Antiquité suppose un risque important d’anachronisme.
Dans une première partie, « Les modèles de l’histoire mondiale », on définira ces nouvelles perspectives ; on rappellera les principales réalisations qu’elles ont permises, principalement dans le monde anglo-saxon et germanique, mais également français, ainsi que les tentatives peu concluantes de les appliquer à l’Antiquité.
La deuxième partie, « Histoire mondiale, Antiquité tardive et barbaricum », rappellera d’abord que les modèles historiographiques antiques permettant de réaliser un récit englobant ne concernaient guère le barbaricum européen.
On analysera ensuite les récits historiens actuels portant sur la Méditerranée et l’Europe septentrionale, centrale et orientale au temps de l’empire romain, lesquels sont structurés par trois approches principales permettant de dépasser les frontières politiques de l’époque : l’impact de Rome, la diffusion du christianisme et les migrations. Ces thèmes sont traités depuis plus d’un siècle, mais restent d’actualité ; ils sont désormais étudiés selon des problématiques renouvelées, en particulier en ce qui concerne la romanisation et les migrations.
On verra enfin comment le barbaricum européen peut être intégré dans les discours sur l’Antiquité tardive selon trois cadres spatio-temporels. Le premier est celui d’une Antiquité tardive romaine et chrétienne. Cette proposition date du début du XXe siècle mais reste aujourd’hui dominante, à la fois pour des raisons de documentation et pour des raisons idéologiques puisqu’elle correspond à un récit sur la naissance de l’Europe dans le cadre actuel de l’Union européenne. Le deuxième, majoritaire aux États-Unis depuis la fin des années 1980, étudie un espace qui va de l’Atlantique à l’Asie centrale en privilégiant la Méditerranée orientale de Constantinople et le Moyen-Orient sassanide puis omeyyade au détriment de l’Occident romain et de l’Europe septentrionale, centrale et orientale. Le troisième est celui, fort récent, d’une Antiquité tardive eurasiatique, qui permet en théorie de mieux apprécier des phénomènes globaux (climat, épidémies, migrations nord-eurasiatiques) et les connexions entre les diverses régions (échanges commerciaux, culturels et religieux) ; ce cadre peut être pertinent pour certains aspects concernant le barbaricum européen, comme les migration des Huns, des Avars et des Proto-Bulgares.
Dobrochna Kałwa : Questions locales – réponses globales. Exemples de recherches sur l’histoire de la Pologne au XXe siècle dans la perspective du genre
L’histoire de la Pologne (ré)interprétée du point de vue du genre est à encore à l’état de projet. Malgré le développement des recherches sur ce thème et l’intérêt croissant qu’il suscite auprès d’un large public, l’histoire des femmes continue à figurer parmi les discours minoritaires, ou plus exactement, ceux qui n’ont qu’un faible impact sur le développement des grands courants de la recherche. Notre présentation part de l’hypothèse que l’histoire des femmes, tout comme la catégorie du genre, est marginalisée ou absente du discours historiographique principal, même si les chercheuses renoncent par stratégie au potentiel révisionniste lié au changement de perspective dans l’interprétation. Par conséquent, l’histoire polonaise des femmes fait coexister des traditions de recherche opposées, qui abordent de manière différente la question de la production du savoir local et de la présence dans les discours historiographiques internationaux. L’analyse des études choisies comme exemples des courants de recherche particuliers servira à formuler des stratégies destinées à changer le statut de l’histoire des femmes et du genre.
Stéphane Van Damme : Réinventer l’histoire transnationale ? Un parcours historiographique français
Nous reviendrons sur la trajectoire de l’histoire transnationale en France depuis les années 1990, en insistant en particulier sur la contribution d’un laboratoire de recherche : l’Institut d’histoire moderne et contemporaine. Fort des acquis de l’histoire comparée et de l’histoire des transferts culturels, la recherche a longtemps navigué entre un transnational strict qui s’est intéressé à la fabrique du national à travers des objets fétiches comme la construction des frontières et une définition plus large, plus inclusive, qui comprend toute une variété d’approches ayant pris pour objet d’analyse les jeux d’échelles, les pratiques de circulation ou de comparaison, les situations de rencontres impériales ou l’étude des flux globaux (histoire des migrations, histoire des cultures matérielles, histoire globale des sciences, etc). L’IHMC a été avec Daniel Roche et Christophe Charle à l’avant-garde de cette réflexion en France, comprise comme une manière de renouveler l’histoire de l’Europe. Une nouvelle génération de chercheurs plus attentifs à la fois aux constructions régionales (Europe centrale, Europe méditerranéenne), qu’aux dimensions impériales et globales, propose de sortir d’une opposition entre histoire transnationale et aires culturelles.
NOTES BIO
Błażej Brzostek
Historien. Il travaille au Département d’histoire de l’Université de Varsovie. Ses recherches portent sur l’histoire sociale, les études urbaines et l’histoire de l’Europe du Centre-Est. Il est l’auteur des ouvrages Paryże innej Europy. Warszawa i Bukareszt. XIX i XX wiek, Varsovie 2015 oraz Wstecz. Historia Warszawy do początku, Varsovie, 2021.
Sylvie Denoix
Sylvie Denoix est historienne, spécialiste du Proche-Orient médiéval. Ses premières recherches ont porté sur l’histoire urbaine du Caire médiéval, à partir de sources variées en arabe (chroniques, documents d’archives des fondations pieuse – les waqf-s, manuels de topographie historique). Elle a alors mis au point diverses méthodes d’analyse des textes et de cartographie historique.
Récemment, elle a dirigé un Atlas des mondes musulmans médiévaux, réalisé avec l’équipe Islam médiéval de l’unité mixte du Cnrs Orient & Méditerranée, équipe qu’elle a dirigé de 2014 à 2019.
Elle a aussi abordé différents champs comme l’exercice du pouvoir aux temps des califats et à celui des sultanats et a réfléchi à quelques questions de méthode comme celles de la pertinence des découpages aréaux, du comparatisme et des jeux d’échelles.
2 publications :
Hervé Inglebert
Hervé Inglebert est professeur d’histoire romaine à l’université de Paris-Nanterre et fut membre junior et senior de l’Institut universitaire de France. Spécialiste des évolutions culturelles et religieuses de l’Antiquité tardive, il ne dissocie pas l’écriture de l’histoire du questionnement sur les méthodes et l’historiographie de la discipline. Il a ainsi analysé la pertinence de diverses notions insuffisamment questionnées (romanisation, civilisation, christianisation, histoire universelle). Il s’intéresse également à l’épistémologie des sciences humaines et sociales et aux liens entre récits d’histoires universelles et musées universels. Il dirige la revue internationale Antiquité tardive (Brepols) ainsi que la collection d’histoire Nouvelle Clio (Presses Universitaires de France). Il a publié une Histoire de la civilisation romaine (2005), Le Monde, l’Histoire. Essai sur les histoires universelles (2014), Histoire universelle ou histoire globale ? (2018), ainsi qu’un Atlas de Rome et des barbares (IIIe-VIe siècle). La fin de l’empire romain en Occident, 2e édition 2018).
Dobrochna Kałwa
Historienne, formée à l’Université jagellonne de Cracovie, elle est depuis 2012 professeure associée à la Faculté d’histoire de l’Université de Varsovie. Elle s’intéresse à l’histoire culturelle des femmes, à la méthodologie historique et à l’histoire orale. Elle est membre du comité de rédaction de Aspasia. The International Yearbook of Central, Eastern, and Southeastern European Women’s and Gender History, de la Commission pour l’histoire des femmes du Comité des sciences historiques de l’Académie polonaise des sciences et du bureau de l’International Federation for Researchers in Women’s History. Il est l’auteure et co-auteure d’ouvrages et d’articles scientifiques, notamment : Kobieta aktywna w Polsce międzywojennej. Dylematy środowisk kobiecych, Migration als Ressource : Zur Pendelmigration polnischer Frauen in Privathaushalte der Bundesrepublik, Obyczaje w Polsce. Od średniowiecza do czasów współczesnych et From mentalities to anthropological history. Theory and methods.
Stéphane Van Damme
Stéphane Van Damme est professeur au département d’histoire de l’École normale supérieure (Paris). Ses recherches portent sur les sciences modernes européennes du XVIe au XIXe siècle en examinant principalement le rôle des pères fondateurs (Bacon, Descartes, Linné), de certaines disciplines scientifiques (philosophie, botanique, chimie, archéologie), des sociabilités savantes et des capitales scientifiques ainsi que des projets impériaux. Il a publié en 2020 Seconde Nature. Rematérialiser les sciences entre Bacon et Tocqueville dans lequel il plaide pour un rapprochement de l’histoire des sciences avec l’histoire environnementale. Il vient de publier en février un livre intitulé les Voyageurs du doute, sur l’épistémologie des savoirs lointains développés par les libertins au XVIIe et XVIIIe siècle.